SCIENCE
ET VIE MICRO
n°182 - Mai 2000
Article
de Béatrice Perret du Cray
Génération
automatique d'uvres numériques
MEDAL
: 50 milliards de musiques sur 200 ko
Une
invention croisant musique, mathématique et informatique
met à jour un débat juridique non tranché
: celui de l'originalité et de la paternité des
uvres générées automatiquement .
MEDAL dépasse l'imagination : il compose à la
demande 100 morceaux par seconde, parmi 50 milliards de musiques
possibles, toujours harmonieuses
Et le programme tient
sur 200 ko ! L'inventeur a dû résoudre le dilemme
posé par ce vide juridique : protéger son invention,
ses applications ou protéger chacune des musiques créées
par son bébé ?
Un
jour pourtant faste en inspiration musicale, René-Louis
Baron, compositeur depuis l'âge de 15 ans et féru
d'informatique lance un défi à son Atari 1040
ST, persuadé qu'une machine est capable de créer
de la musique grand public simplement en calculant et en transformant
des nombres en notes. Il suffirait de lui apprendre à
composer seule, non pas de la musique concrète, expérimentale,
mais une musique cohérente dont il est possible de retenir
la mélodie.
En
termes d'illustration musicale, le jeu en vaut la chandelle
: musique au kilomètre, ambiances musicales quotidiennes
(supermarchés, ascenseurs, bureaux, en tâche de
fond
), signalisation sonore pour accompagner en musique
la navigation sur le Web.
Dix ans plus tard, l'élève surpasse le maître
- et de loin, du moins en termes de productivité : MEDAL
est le premier programme informatique capable de générer
automatiquement des milliards de musiques populaires, appelables
par leur numéro. Sa dernière version tient, et
c'est là toute l'invention, sur 200 ko.
En septembre 98, dérouté par les possibilités
de son bébé, Baron en dépose le procédé
auprès de l'INPI tout en prenant contact avec sa société
de défense préférée, la SACEM, dont
il est l'un des 83500 membres. Il souhaite son avis sur les
problèmes de droits d'auteurs nouvellement posés
par une invention qui le dépasse et cherche à
collecter les informations nécessaires à la mise
en place d'un système de protection minimal.
Il faut une année pour rencontrer deux fois la gardienne
de l'antériorité des oeuvres musicales :
Le fils Baron, également membre de la SACEM se présente
devant le chef des services musicaux avec un CD de 20 morceaux
et lui fait part des capacités de MEDAL . Il n'assiste
à aucune démonstration et ne voit pas de partition,
même si les Baron peuvent en fournir à la pelle.
Les Barons essuient un refus de dépôt, la génération
automatique d'uvres n'étant pas prévue dans
le code de la propriété intellectuelle. Pour ces
services chargés de vérifier l'originalité
des uvres et de recevoir les nouveaux projets, MEDAL n'est
pas de la musique, mais un programme qui pourrait tout aussi
bien générer du texte ou des images. Un conseil
: s'adresser à l'Agence pour la Protection des Programmes,
qui depuis 82 permet de protéger l'antériorité
de toute uvre numérique.
Outre qu'elle n'est pas adaptée à la gestion de
telles masses de musiques, accepter le dépôt poserait
un sérieux problème à la SACEM : un seul
de ses membres serait en situation de détenir plus de
99, 5 % de l'ensemble des dépôts. La lettre certifiant
le refus est toujours attendue.
Sur
les conseils de Daniel Duthil, Président de l'APP, une
solution originale a été choisie pour protéger
MEDAL : le déposer à la fois comme logiciel (il
fabrique des musiques à la demande) et comme base de
données (il fait office de banque de morceaux, virtuellement
appelables par leur numéro). Le régime des bases
de données a l'avantage de protéger à la
fois les données et la structure de la base et d'en interdire
toute extraction substantielle sans autorisation de l'auteur.
Une
première application commerciale est prévue d'ici
3 à 6 mois : un plug-in téléchargeable
gratuitement permettra aux internautes d'entendre les musiques
MEDAL que les développeurs de sites sous licence ont
choisi et encodé à même les pages Web pour
illustrer un contexte particulier. Les compositions musicales
étant générées localement sur les
postes clients par identification du code implémenté,
la navigation en musique devient possible sans empiéter
sur la bande passante.
L'illustration musicale à moindre coût intéresse
vivement les professionnels du multimédia (CD-Rom, jeux
vidéo, univers virtuels) qui souhaiteraient une signalisation
sonore thématique ou des musiques d'ambiance adaptées
à l'action en cours ou aux caractéristiques des
utilisateurs.
Elle concerne aussi tout dispositif électronique capable
d'embarquer une puce MEDAL actuellement en développement
(caméras, poupées, répondeurs, serveurs
vocaux, téléphones portables
).
L'invention a bien sûr été repérée
par des multinationales travaillant dans le même sens
depuis des années. Pour Baron, il s'agit de réduire
les risques et non pas de prendre une option sur toute la musique
à venir ; il entrevoit même un nouveau métier,
pour lequel il se dit prêt à fonder une école
dans quelques années : faire de MEDAL une " uvre
ouverte " pour former des élèves à
la programmation de systèmes experts d'aide à
la composition musicale. En accédant directement au code
source du logiciel, ils seraient en mesure d'implémenter
leur empreinte personnelle et d'ainsi participer à l'évolution
de la génération automatique de musiques. A l'entendre,
son invention ne peut pas se substituer à l'imagination
créatrice du musicien : elle lui sert de muse, d'outil
à penser la composition musicale et lui ouvre de nouveaux
domaines d'expérience.
La
SACEM est la société de gestion collective, chargée
de la perception et de la répartition des droits des
auteurs, compositeurs et éditeurs de musique depuis 1851
; elle gère les droits sur plus de 4 millions d'uvres
françaises et étrangères et le dépôt
des partitions de 200 000 uvres par an. Elle a su évoluer
en acceptant désormais le dépôt des musiques
électroniques dans un format audio (cassette ou CD).
L'APP compte 8000 membres et a participé en 94 à
la création d'InterDeposit, la fédération
internationale de l'informatique et des technologies de l'information.
Elle lutte au niveau mondial contre la contrefaçon des
uvres numériques et a mis en place un système
d'identification qui repose sur un référencement
en ligne. Un certificat IDDN (InterDeposit Digital number) est
attribué à l'auteur qui l'intègre à
l'uvre déclarée ; il l'accompagne dans toutes
ses reproductions et représentations et permet de consulter
des informations relatives à ses ayant-droits et à
ses conditions d'exploitation.
Le dilemme de l'inventeur - protéger son invention en
tant que telle et la commercialiser ou déposer les uvres
qu'elle génère et essayer de les placer - est
lié au fait que pour la première fois, des musiques
générées automatiquement sont susceptibles
d'être exploitées sur un marché grand public.
MEDAL pouvant également être utilisé dans
des lieux publics pour générer inlassablement
de la musique libre de droits toujours différente, il
tombe dans un débat au cur même du principe
fondateur du droit d'auteur : la question de l'originalité
de l'uvre. Une musique générée automatiquement,
choisie parmi des milliards de possibilités est-elle
une oeuvre originale, peut-on y reconnaître l'empreinte
d'un auteur ?
Pour un juriste de l'APP, la question ne peut être tranchée
que dans le cadre d'un jugement, suite à une contestation.
Plusieurs options existent : parce qu'il manipule le code et
fait évoluer son programme en intégrant de nouvelles
contraintes en forme de cahier des charges, l'inventeur crée
des uvres originales avec cet outil informatique. Si le
logiciel générait des musiques d'une manière
totalement aléatoire, elles ne seraient pas protégeables
comme uvres originales. Du côté des utilisateurs,
tout dépend de la latitude laissée pour agir en
temps réel sur la composition automatique : la qualité
de l'interactivité et des manipulations autorisées
via l'interface de paramétrage pourrait déterminer
le statut de la musique créée. Avec l'autorisation
de l'auteur du programme, un utilisateur serait alors en mesure
de déposer une adaptation. L'inventeur
ne part pas d'une chimérique théorie unifiée
de la musique, mais bien de sa propre pratique, auto-analysée
: avec une infinie patience, il enseigne toute son expérience
à son Atari, le rendant dépositaire de ses connaissances
éclectiques et de ses recettes en matière de création
musicale. Versions après versions, il trouve des solutions
empiriques à chaque problème rencontré
et parvient à élaborer un programme capable de
composer de manière autonome et de piloter n'importe
quel périphérique sonore compatible avec la norme
General MIDI.
MEDAL ne sait que manipuler des suites de nombres et les agencer
par le calcul, suivant un procédé mathématique
qui fait l'objet d'un brevet valable sur 53 domaines d'application.
La musique automatique compte 4 brevets antérieurs à
MEDAL . Mais contrairement au nouveau procédé,
ces dispositifs reposent sur le tirage aléatoire de séquences
pré-existentes (ce qui les rend nettement plus lourds
et rarement harmonieux). MEDAL ne repose que sur du calcul et
des contraintes de composition. On parle de génération
semi-aléatoire : les séquences sont tirées
au hasard sous la contrainte de l'intelligence musicale implémentée
par l'inventeur, qui agit comme un filtre de manière
à ce que les morceaux générés soient
toujours agréables à écouter.
Le secret est de débuter par des mélodies simples
et d'opter pour un programme très dépouillé
avec peu de notes, puis de le faire évoluer en complexité
en affinant au fur et à mesure. " J'ai même
implémenté des tics, des hésitations, de
très légers défauts de justesse
"
Les conditions vécues de la création musicale
ont été paramétrées et agencées
en un programme d'environ 16 000 lignes, jonglant avec quelque
mille variables et compilé en C++. Le tout sur 200 ko.
Sur la base du tirage d'une suite harmonique sur laquelle se
greffe un tempo, se construit une mélodie, se bâtit
une orchestration, un arrangement, il compose jusqu'à
2 milliards 137 millions de morceaux possibles par orchestre
disponible, soit des combinaisons à chaque fois différentes
à générer en faisant son choix parmi une
cinquantaine de styles musicaux. Son répertoire est des
plus variés : rock, jazz, blues, classique, techno, musique
indienne, orientale, afro-cubaine, brésilienne
voire
muzak.
" Un genre de juke-box inépuisable avec de forts
débouchés dans la musique d'ambiance ; j'attends
de voir l'interface pour paramétrer le programme à
ma sauce et savoir s'il peut effectivement s'utiliser comme
un outil de travail supplémentaire. Et je suis curieux
d'essayer la navigation en musique : une aide à l'orientation
sur le Web ? " - Un musicien qui n'a pas peur de MEDAL
.
PRESSE
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: VieArtificielle.com
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